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Jean-Baptiste Forest
Promotion IDA 2016
Master I de Droit des Affaire
Université Paris II Panthéon Assas
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Le Petit Juriste du 15 novembre 2014
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« L’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel au cœur de l’économie processuelle »
À partir des décisions rendues par la Cour de cassation sur l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel depuis 2010, l’article se propose d’analyser leur impact sur la gestion des flux judiciaires. Par ailleurs, il s’agit également de mettre en perspective l’évolution des libertés procédurales laissées au justiciable, notamment par rapport à l’éphémère principe de concentration des demandes.
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Tantum devolutum, quantum judicatum, « il n’est dévolu qu’autant qu’il a été jugé » (par les premiers juges). Cet adage illustre à sa manière la règle de l’immutabilité du litige appliquée au juge d’appel comme à celui de première instance et illustrée par l’article 4 du code de procédure civile (« l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties »).
Affirmée par l’article 564 de ce même code, elle impose que « les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ».
Face à la rigueur d’un tel principe, l’article 565 aménage cependant une poterne de choix en disposant que « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent » (décret du 28 août 1972, repris par le nouveau code).
D’un point de vue historique, la définition de la prétention nouvelle a toujours été la source de difficultés. Sous l’empire du décret-loi du 30 octobre 1935, la jurisprudence utilisait un critère emprunté à l’article 1351 du code civil, relatif à la chose jugée. Une demande était ainsi considérée comme nouvelle, en appel, s’il s’était produit un changement de parties, de qualité de celles-ci, d’objet et/ou de cause.
Tout l’intérêt réside aujourd’hui dans l’appréciation et l’interprétation des finalités accordées à chaque nouvelle prétention (terme substitué par le législateur à celui de « demande », sans différence fondamentale[1]).
Force est de constater que des arrêts de 2010 et de 2011 relancent cette problématique par le renversement de jurisprudences pluridécennales, laissant augurer une interprétation renouvelée de l’article 565 du code de procédure. Jusqu’alors interprété avec plus ou moins de largesses par la jurisprudence, ce dernier dispose néanmoins avec force que « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement est différent ».
Aujourd’hui, après quelques années de passivité salvatrice, il convient de faire le point sur l’état actuel de la jurisprudence, eu égard aux conséquences démesurées que peut parfois avoir la procédure civile sur le fond d’un litige.
1 – Une fois n’est pas coutume, commençons par un exemple. En vertu de l’article 1184, alinéa 2, le créancier bénéficie d’un double choix : soit forcer l’autre à l’exécution de la convention, lorsqu’elle est possible, soit en demander la résolution avec dommages-intérêts. Bien évidemment, les deux premières branches de l’option ne peuvent se cumuler : on ne peut pas à la fois demander la résolution du contrat et l’exécution des obligations qu’il induit[2].
Longtemps, la jurisprudence a décidé que le choix ainsi opéré ne revêtait pas un caractère irréversible, malgré quelques décisions discordantes (Com. 16 janvier 2001, n°97-14.104, Bull. civ. IV, n°10). En effet, le créancier pouvait le modifier tant qu’il n’avait pas été statué sur sa demande initiale par une décision passée en force de chose jugée (Com. 27 octobre 1953, D. 1954.20 ; Soc. 25 juin 1954, D. 1954. Somm. 73 ; CA de Paris 20 décembre 1968, D. 1969. Somm. 33). C’est d’ailleurs en ce sens qu’avait jugé la 3ème Chambre civile le 25 mars 2009[3] (n° 08-11.326).
2 – Pourtant, coup de théâtre, celle-là même décide de la renverser dans un arrêt du 20 janvier 2010[4] (n°09-65272). Ainsi est jugé que l’action en résiliation, qui a pour effet de mettre à néant le contrat de bail, ne tend pas aux mêmes fins que la demande tendant à l’application de clauses de ce contrat, qui le laisse subsister. Sans autre forme de procès, le pourvoi est rejeté à l’aune de l’article 565 du code de procédure civile.
Aussitôt s’embraye la folle locomotive du revirement auprès des autres Chambres, séduites par le raisonnement proposé. Le 29 mars 2011, par deux arrêts, la Chambre commerciale envoie une bordée aux archaïsmes d’antan en déclarant irrecevable comme nouvelle, la demande en contrefaçon soumise au juge du second degré sur appel d’un jugement qui a statué sur une action en concurrence déloyale[5].
Le 8 septembre 2011, la 2ème Chambre civile, gardienne de l’orthodoxie procédurale, finit par entériner la solution dans un arrêt publié au bulletin (n° 09-13.086), sans même nécessiter la convocation d’une Chambre mixte ou d’une Assemblée plénière tant la chose semble entendue.
Finalement, même si la plupart des décisions de principe quant à l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel date des années 1970 et 1980, ce récent mouvement jurisprudentiel peut être perçu comme le regain d’une nouvelle restriction des prétentions nouvelles en appel.
3 – Aujourd’hui, il n’y a guère qu’en matière de dommages-intérêts que la Cour de cassation continue d’avoir une conception extensive de la notion de finalité puisqu’elle touche précisément à une identité de fins matérielle et non plus seulement juridique. Ainsi, les prétentions nouvelles tendant à la même fin d’indemnisation du préjudice subi ne sont pas irrecevables même si elles ont été majorées ou minorées en cause d’appel (2ème Civ., 10 mars 2004, n°02-15.062, Bull. civ. II, n°99 ; 2ème Civ., 4 mars 2004, n°00-17.613, Bull. civ. II, n°82 ; 2ème Civ., 7 juin 2012, n°11-16.378).
Compte tenu de ces évolutions successives, il apparaît clair qu’une acceptation si facile du revirement opéré sur une jurisprudence pourtant bien ancrée se justifie par un raisonnement juridique solide. Afin d’en illustrer la force, il convient d’en présenter sa nature tripartite (I.). Pour autant, il n’en demeure pas moins qu’il occasionne des conséquences néfastes pour l’économie processuelle (II.).
I. Une justification à trois versants
Juridiquement, la solution s’appuie sur une interprétation de lege lata des termes de l’article 565 du code de procédure civile (A.), mais également sur le souci de conserver l’économie de la hiérarchie judiciaire (B.). Enfin, il n’est pas impossible d’y trouver l’influence indirecte du principe de non-contradiction au détriment d’autrui (C.).
A. L’interprétation stricte des finalités des prétentions
S’il n’est pas contestable que la demande en exécution comme celle en résolution visent, in fine et lato sensu, à sanctionner l’inexécution du contrat, les finalités visées par ces deux actions ne sont techniquement et précisément pas les mêmes[6]. Dans un cas, il s’agit d’appliquer les clauses de la convention en la faisant perdurer, tandis que dans l’autre, il est question de son anéantissement pur et simple, de sa totale négation. Dès lors, comment justifier la jurisprudence antérieure ?
Certains auteurs considéraient que la règle jurisprudentielle ayant vécu plus d’un demi-siècle trouvait opportunément sa source dans la nature même de la résolution judiciaire. En effet, puisqu’il appartenait au pouvoir souverain du juge d’avoir le dernier mot, en première instance et en cause d’appel, vis-à-vis de la résolution ou de l’exécution forcée d’une convention, alors il importait peu que le créancier change son fusil d’épaule entre les deux degrés de juridiction, puisqu’il ne lie pas le remède final apporté au litige. Ainsi, à la base même de cette ancienne jurisprudence, le raisonnement juridique ne s’illustrait pas par des fondations parfaitement établies.
Ce flou trouve sa source dans la difficulté éprouvée à définir la notion de finalité, mais surtout à la séparer de celle d’objet du litige. En effet, la première apparaît comme étant plus large et plus subjective que la seconde[7], ce qui permet de concevoir « qu’une prétention ait un objet différent de la prétention initiale (au sens de droit sur laquelle elle porte), tout en poursuivant une fin identique (entendue comme le résultat recherché par l’auteur de la demande) ». Par voie de conséquence, c’est la contradiction du résultat recherché entre les deux prétentions successives conduit à opposer la nouveauté d’une prétention, et inversement en cas d’identité du résultat[8]. A cet égard, un auteur avait proposé que si la prétention présentée en appel pouvait se cumuler avec celle présentée en première instance, alors elle était nouvelle (d’où un principe de non-cumul des prétentions comme critère d’identité des fins[9]).
Malheureusement, la clarté d’une telle proposition n’a pas été retenue par la jurisprudence, qui a distingué au cas par cas les prétentions nouvelles en appel de celles qui sont recevables. S’il serait fastidieux d’en faire un inventaire à la Prévert, il peut être pertinent d’en évoquer quelques-unes. Ainsi, l’action en rescision pour lésion d’une vente immobilière ne tend pas aux mêmes fins que l’action en nullité (3ème Civ., 21 mai 1979, Bull. civ. III, n°110[10]), de même pour la demande subsidiaire en nullité d’une vente formée en appel en réduction de prix (Com. 18 janvier 1984, Bull. civ. IV, n°23), et enfin, la solution précitée du 29 mars 2011 de la Chambre commerciale (n° 09-71.990 & n° 10-12.046), sur l’irrecevabilité en appel d’une demande en contrefaçon après une action en concurrence déloyale. En effet, si la première constate et sanctionne l’atteinte à un droit privatif, la seconde ne permet que la réparation du préjudice consécutif à des agissements fautifs.
Il peut être supposé que ce sont les exceptions des articles 564, 566 et 567 du code de procédure civile qui ont motivé les juges à restreindre la voie offerte par l’article 565 du même code. En effet, il est toujours possible d’accueillir les prétentions nouvelles destinées à opposer la compensation judiciaire, faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, de la survenance ou de la révélation d’un fait, ou à simplement faire écarter les prétentions adverses.
Si le champ des exceptions peut paraître étendu en théorie, il n’en est pas moins restreint dans les faits. Ainsi, la prétention ayant pour but d’expliciter les demandes soumises aux premiers juges (« virtuellement comprises » dans celles-ci) ou d’y ajouter leur accessoire, leur complément ou leur conséquence (566 du code de procédure civile) n’aurait pu permettre de justifier la demande en contrefaçon dans les deux arrêts précités[11], sauf à justifier qu’elle est incluse dans l’action en concurrence déloyale[12].
B. Le souci de conserver l’économie de la hiérarchie judiciaire
Initialement, l’appel permet de vérifier les conditions d’exercice de leur mission par les premiers juges. Il serait donc absurde de modifier, au second degré, les éléments de la discussion. Pour s’opérer efficacement, le contrôle et la censure de la juridiction supérieure ne peut s’exercer que sur le terrain exact où l’on avait placé les juges de première instance, c’est-à-dire le même objet du litige.
En outre, chaque prétention nouvelle présentée en appel échappe, par définition, à la mécanique du double degré de juridiction imposée par le législateur dans un but de sélection. Dès lors, ce serait bouleverser l’économie de notre hiérarchie judiciaire que d’autoriser les justiciables à saisir directement les juges du second degré d’une prétention non préalablement soumise aux juges du premier ressort, entraînant du même coup un encombrement des juridictions supérieures.
C. Un principe d’estoppel qui ne dit pas son nom
Notion empruntée au droit anglo-saxon, l’estoppel est souvent analysée comme une exception procédurale destinée à sanctionner, au nom de la bonne foi, les contradictions dans les comportements d’une partie[13]. Celle-ci est alors liée par son comportement antérieure et ne peut se contredire au détriment d’autrui (Assemblée Plénière, 27 Février 2009, Bull. 2009, n°1 ; Com. 20 Septembre 2011, n° 10-22.888).
Si le principe de non-contradiction au détriment d’autrui reste encore aujourd’hui cantonné à un cadre procédural restreint, il n’est pas inutile de rappeler qu’il a connu son essor au moment où étaient rendus les arrêts relatifs à la restriction des prétentions nouvelles en cause d’appel.
Relever l’éventuelle contradiction que peuvent avoir deux demandes entre elles lorsqu’elles sont invoquées successivement au premier et au second degré ne paraît pas être totalement dénué de sens. Par ce changement inopiné de stratégie juridique (parfois attribué à un nouveau conseil), et bien qu’autorisé dans les faits, l’appelant peut mettre le défendeur dans une situation délicate et imprévue. Dès lors, il peut ressentir un certain préjudice, allant du simple désappointement au jusqu’à celui subi du fait des conséquences découlant des demandes du premier degré.
Par exemple, dans le cas d’un contrat de bail, le propriétaire peut avoir agi en exécution du paiement des loyers en premier ressort. Sur interjection appel de la décision, il souhaite désormais, à l’appui d’une prétention nouvelle, la résolution du contrat de bail. Entre les deux instances, le locataire s’était persuadé qu’il ne pouvait être condamné à payer, dans le pire des cas, que les sommes dues ainsi que d’éventuels dommages-intérêts du fait de son retard. Ainsi, il s’était organisé en conséquence, par l’établissement de sa famille, par la communication de son adresse postale à ses fournisseurs professionnels ainsi qu’à ses proches, mais aussi par des travaux de rénovation dans le domicile. En ce cas, la prétention nouvelle contradictoire s’impose au dépriment d’autrui, ce qui caractérise formellement l’estoppel.
Pourtant, et même si on pourrait éventuellement faire appel à un devoir de cohérence du justiciable (Com. 8 mars 2005, n° 02-15.783[14] ; Civ. 3e, 28 janv. 2009, n° 07-20.891[15]), force est de constater que ce principe n’est pas le fondement des jurisprudences récentes. Relativement à celles-ci, il n’en sera jamais que l’appui moral et éthique, ce qui est à la fois peu et beaucoup de choses au regard des conséquences en partie néfastes qu’occasionne une telle politique jurisprudentielle. À l’image du papillon de la théorie éponyme, les plus petites causes peuvent avoir de grands effets.
II. Les conséquences retorses d’une immutabilité exacerbée
D’un côté, l’entrechoquement avec la jurisprudence relative à l’autorité négative de chose jugée ne s’est pas faite sans heurts (A.), tandis que, de l’autre, le risque d’engorgement des rôles fait figure de grand prétexte et de fâcheux contrecoup (B.).
A. Le lien étroit rattachant l’autorité de chose jugée à l’acceptation de prétentions nouvelles en appel
Se sentant préventivement adoubée par le décret du 9 décembre 2009 ayant autorisé l’irrecevabilité soulevée d’office des prétentions nouvelles en appel[16], l’arrêt du 20 janvier 2010 fait la preuve, s’il en fallait une, d’une jurisprudence créatrice de droit.
Non contente de battre en brèche l’interdiction de présumer la renonciation à un droit, règle qui avait servi de fondement aux décisions suscitées des années 1950[17], cette solution s’est également heurtée à l’éphémère principe de concentration des demandes.
Né des errements jurisprudentiels ayant suivi l’arrêt d’Assemblée plénière dit Cesareo du 7 juillet 2006, ce principe s’opposait à la recevabilité des demandes formulées dans le cadre d’une nouvelle instance au titre de l’autorité négative de chose jugée (art. 1351 du code civil), du fait de la nécessité d’invoquer toutes les demandes dans le cadre de la première procédure (très clairement formulé en matière d’arbitrage, eu égard à la loyauté procédurale, cf. 1ère Civ. 28 mai 2008, au point de toucher du doigt un principe d’unicité de l’instance qui ne disait pas son nom).
En cela, l’arrêt de la 1ère Chambre civile du 1er Juillet 2010 est éclairant, puisqu’il introduit implicitement le principe de concentration des demandes par une extension de l’objet du litige. Tandis que les défendeurs ont été condamnés durant la première procédure à exécuter leur engagement de caution envers la banque, ils ont par la suite introduit une nouvelle instance en vue d’engager la responsabilité de celle-ci et d’obtenir par là-même des dommages-intérêts.
La nouvelle cour d’appel, puis la Cour de cassation, y ont vu une volonté de compensation (celle-là même qui est autorisée comme exception par l’article 564 du code de procédure civile !), ne tendant qu’à remettre en cause, par un nouveau moyen qui n’avait pas été formé en temps utile, la condamnation initiale prononcée à leur encontre. L’objet du litige, en tant que résultat économique, juridique et social recherché[18], aurait donc été la remise en cause factuelle – par compensation – d’une condamnation définitive. Elle a été suivie par la Chambre commerciale, dans ses arrêts du 6 juillet 2010 (n° 09-15.671) et du 25 oct. 2011[19] (n° 10-21.383).
Fort heureusement, revenant à plus d’orthodoxie juridique, la 2ème Chambre civile met fin à ce nouveau principe par ses arrêts du 23 septembre 2010 (Bull. civ. 2010, II, n°157) (action en responsabilité et action en paiement), et du 26 mai 2011[20] (n°10-16735). Elle est appuyée en cela par la 3ème Chambre civile, dans son arrêt du 11 janvier 2012[21], laquelle revient également à une interprétation stricte de la notion d’objet du litige (demande en nullité de la vente pour dol et demande en réduction du prix). Malgré un arrêt non publié en droit du cautionnement sur l’exigence d’un « temps utile » pour soulever tous les moyens relatifs à l’indemnisation des fautes en compensation des condamnations pour l’engagement de caution (2ème Civ, 22 février 2012, n°11-10.082, inédit), il semble que l’appel ait été entendu. Pour preuve, la 1ère Chambre civile ne cite plus en droit de l’arbitrage l’attendu de principe qu’elle avait consacré en 2008 (1ère Civ., 28 mai 2008, n°07-13.266, précité contra 1ère Civ., 12 avril 2012[22], n°11-14-123).
Il apparaît que le principe de concentration des demandes, bien qu’ayant connu une brève existence, a côtoyé les premiers temps du revirement renforçant l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en cause d’appel[23]. Dès lors, comment ne pas montrer son incompréhension face à ce qui semblait être une immutabilité totale du litige dès la juridiction du premier degré ? Il était alors nécessaire de s’arroger les talents d’un conseil diligent dès le début de la procédure, en conséquence de quoi aucune nouvelle demande ne pouvait être reçue, en appel comme dans le cadre d’une nouvelle instance.
Cette tendance illustre une forme de déséquilibre du procès civil, faisant porter sur les parties et leurs conseils une charge toujours plus grande, comme l’illustre l’arrêt d’Assemblée plénière du 21 décembre 2007 sur la simple faculté pour le juge de soulever d’office un fondement juridique nouveau.
Même si l’opposition portée contre le principe de concentration des demandes par la 2ème Chambre civile semble avoir porté ses fruits, rien ne semble empêcher sa réintroduction future à la faveur d’une nouvelle régulation des flux judiciaires.
B. Le risque d’encombrement des rôles comme cause et comme conséquence
S’il paraît peu discutable que le souci de ne pas bouleverser le fragile équilibre de notre économie processuelle a motivé ce revirement de jurisprudence, il semble qu’il ait fait l’amère expérience des vases communicants.
Ce qui était motivé par la nécessité de réduire les durées de mises en état des dossiers en cause d’appel, permettant, par voie de conséquence, de traiter plus d’affaires en moins de temps, finit par occasionner des effets pervers sur les juridictions du premier degré.
À partir du moment où les nouvelles demandes formulées en appel sont jugées irrecevables, alors le demandeur n’a plus pour unique solution que d’introduire une nouvelle instance, afin de pouvoir faire juger, par une nouvelle juridiction du premier degré, celles de ses demandes qui n’ont pas été examinées. Il s’agit là d’une véritable atteinte à la stratégie adoptable dans le cadre du procès civil, ce que des auteurs n’avaient pas manqué de remarquer[24].
Il en résulte, pour lui, une perte d’argent mais aussi de temps, compte tenu des délais de jugement après inscription au rôle, parmi les plus longs d’Europe[25]. Pour l’Etat, cela a pour conséquence un engorgement des rôles des tribunaux de première instance. Pour le défendeur, enfin, c’est l’occasion de subir de nouveaux frais ainsi qu’une longue période de stress face à ce qui est vécu comme un acharnement procédural.
Et le paradoxe est d’autant plus grand que c’est justement le morcellement du litige en plusieurs procédures qui a justifié l’instauration du principe de concentration des moyens, puis celui des demandes.
En réalité, une telle situation ne poussera que les justiciables les plus obstinés à vouloir relancer une nouvelle instance pour obtenir ce qu’ils souhaitent, tandis que l’immense majorité en ressortira avec le goût amer du travail inachevé. Ce n’est d’ailleurs pas sans susciter des interrogations de la part de certains auteurs quant à « un moyen efficace de rogner la fonction de voie d’achèvement de l’appel qui n’est généralement pas du goût des magistrats »[26].
S’il reste désormais à choisir entre la peste et le choléra, pourquoi ne pas tendre vers un principe d’unicité de l’instance comme c’est le cas en matière prud’homale (art. R. 1452-6 du code du travail) ? Ainsi, les prétentions nouvelles seraient plus facilement acceptées en cause d’appel tout en évitant l’éclatement des litiges en plusieurs procédures.
Quoi qu’il en soit, il ne saurait être laissé à l’entière responsabilité de la jurisprudence le rôle d’éclusier des procédures civiles en France, tant pour des raisons de compétence que pour des motifs de légitimité politique[27].
[1] Procédure civile, S. GUINCHARD, C. CHAINAIS, F. FERRAND, Dalloz, 30ème édition, 2010, n°1252 et suivants.
[2] Les obligations, F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Dalloz, 11ème édition, 2013, n°651.
[3] Note S. AMRANI MEKKI et B. FAUVARQUE-COSSON, Recueil Dalloz 2010, Droit des contrats, p. 224 (2008-2009) ; note B. FAGES, RTD Civ. 2009 p. 317 ; note T. GENICON, Revue des contrats, 01 juillet 2009 n° 3, P. 1004 ;
[4] Note T. GENICON, RDC, 01 juillet 2010 n° 3, P. 825 ; note Y.-M. SERINET, RDC, 01 juillet 2010 n° 3, P. 935 ; note Note S. AMRANI MEKKI & B. FAUVARQUE-COSSON, « Sanction en justice du manquement contractuel et demandes nouvelles dérivant du contrat en appel », D. 2011 p. 472.
[5] Com., 29 mars 2011, n° 09-71.990 & n° 10-12.046.
[6] Note E. SAVAUX, Defrénois, 15 décembre 2009 n° 21, P. 2319, à propos de 3ème Civ., 25 mars 2009, précité.
[7] Procédure civile, S. GUINCHARD, C. CHAINAIS, F. FERRAND, Dalloz, 30ème édition, 2010, n°1255 et suivants, précité.
[8] Id.
[9] J. PASSA, Justices 1997/7.105.
[10] Note JULIEN, D. 1979. IR 474.
[11] Note C. CARON, Communication Commerce électronique n° 6, Juin 2011, comm.
[12] Il avait d’ailleurs été jugé l’inverse dans un arrêt Cass. com., 24 nov. 1987, n° 87-11.876, pour lequel l’action en concurrence déloyale était incluse dans l’action en contrefaçon !
[13] Vocabulaire juridique, Gérard CORNU, 9ème édition, 2011, page 414.
[14] Note J. MESTRE et B. FAGES, RTD civ. 2005.391.
[15] Note P. MALINVAUD, RDI 2009.254.
[16] Décret n°2009-1524 relatif à la représentation obligatoire en matière civile, entré en vigueur le 1er Janvier 2011, pris en son article 10, portant réforme de l’article 564 du code de procédure civile par l’ajout liminaire des termes suivants : « À peine d’irrecevabilité relevée d’office » ; note L. WEILLER, « Réforme de la procédure d’appel : entre efficience et équité », D. 2010, 591 à propos du caractère supposé d’ordre public ; note J. VILLACEQUE, « Le nouveau procès civil devant la cour d’appel : la technique et les hommes, paradoxe d’une réforme », D. 2010, 663 sur le ralentissement de la procédure en appel par le respect du contradictoire en cas de relevé d’office.
[17] Note d’Henri LALOU sous l’arrêt Com. 27 octobre 1953, D. 1954.20.
[18] Henri MOTULSKY, Droit processuel, Montchrestien, 1973.
[19] Note Y.-M. SERINET, JCP G 2011, doctr. 1397, n° 14.
[20] Note V. AVENA-ROBARDET, D. 2011. 1566 ; note R. PERROT, RTD civ. 2011. 593 ; note Y.-M. SERINET, JCP 2011, n° 861.
[21] Note Y.-M. SERINET & J. GHESTIN, JCP 2012, n° 442. Sans compter Civ. 2e, 29 mars 2012 (n° 11-10.235), note P. JOURDAIN, RTD civ. 2012. 535.
[22] Où, bien qu’ayant consacré l’identité d’objet entre une demande en indemnisation sur un fondement contractuel et une demande en indemnisation sur un fondement délictuel, elle s’en tient à la conception restrictive du principe de concentration des moyens.
[23] Comme le souligne J.-B. SEUBE, « Technique contractuelle », JCP E, n° 27, 8 Juillet 2010, 1656.
[24] Note B. FAGES, RTD Civ. 2011 p. 762 à propos de Civ. 2e, 8 sept. 2011, n° 09-13.086, précité ; note C. CARON, Communication Commerce électronique n° 6, Juin 2011, comm. 53 à propos de Com., 29 mars 2011, n° 09-71.990 & n° 10-12.046, précités.
[25] « Justice denied? », Jul 19th 2014, The Economist.
[26] Note J. VILLACEQUE, « Le nouveau procès civil devant la cour d’appel : la technique et les hommes, paradoxe d’une réforme », D. 2010, 663, précitée.
[27] Note F. MEURIS, JCP G n°43, 22 octobre 2012, 1134 sous l’arrêt 2ème Civ., 12 juillet 2012 (n°11-20.587), à propos de l’extension jurisprudentielle du principe de concentration des moyens.
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